Affûtage : mythe ou réel impact ?

2/13/20256 min read

Les stratégies ''d'affûtage'' ou ''taper'' en anglais sont souvent employées dans les sports d'endurance à l'approche des objectifs importants de la saison.

L'objet de cet article va être d'analyser son réel impact notamment en course à pied, au regard de la littérature scientifique.

Il s'agit tout d'abord de préciser la définition de l'affûtage pour que l'on puisse parler du même sujet : ''L'affûtage correspond à une réduction progressive et non-linéaire de la charge d'entraînement au cours d'une durée variable qui est destinée à réduire les stress physiologiques et psychologiques de l’entraînement dans l’objectif d’optimiser la performance sportive.'' (Mujika et Padilla, 2003)

Pour rappel la charge d'entraînement correspond à votre volume multiplié par votre intensité. Ainsi, courir 100km dans une semaine à basse intensité représentera une charge d'entraînement plus faible que courir 85 km à basse intensité et 15km à allure 10km.

1 - Conséquences physiologiques et psychologiques de l'affûtage

De nombreuses adaptations de l'organismes semblent s'effectuer chez les athlètes pendant la phase d'affûtage : - Une diminution de la concentration sanguine en Créatine Kinase (CK). Sa présence dans le sang est un témoin des dommages musculaires.

- Une augmentation des réserves musculaires en glycogène et de l'activité enzymatique (qui permet notamment l'utilisation de ce glycogène comme ressource énergétique via la glycolyse).

- Une augmentation du ratio testostérone/cortisol. Le cortisol étant une hormone reliée au stress et la dépense énergétique (catabolisante) et la testostérone à la récupération (anabolisante). Une augmentation de ce ratio serait un témoin d'une évacuation de la fatigue accumulée.

- Une expansion du volume plasmatique qui peut entrainer une diminution de l'hématocrite. Toutefois, ce phénomène d'hémodilution ne semble pas associé à une diminution absolue de la masse et du volume en globules rouges.

- Une amélioration de la force maximale (MVC) et de l'explosivité (RFD). Cela pourrait être lié à une augmentation de la capacité d'activation du système nerveux central (SNC).

- Une diminution de la fatigue ressentie, notamment à la suite d'un cycle de surcharge avant l'affûtage (voir graphique de Bellinger et al, 2020 ci-dessous).

Illustration d'une réduction de fatigue ressentie pendant l'affutage (Bellinger et al, 2020)
Illustration d'une réduction de fatigue ressentie pendant l'affutage (Bellinger et al, 2020)

Revue de Littérature :

Anaël Aubry. Compréhension du phénomène de surmenage fonctionnel induit par le travail en en durance: implications pour l’entraînement et la performance. Médecine humaine et pathologie. CO MUE Université Côte d’Azur (2015- 2019), 2016. Français.

Bellinger PM, Sabapathy S, Craven J, Arnold B, Minahan C. Overreaching Attenuates Training-induced Improvements in Muscle Oxidative Capacity. Med Sci Sports Exerc. 2020 Jan;52(1):77-85. doi: 10.1249/MSS.0000000000002095. PMID: 31318715.

Bosquet L, Montpetit J, Arvisais D, Mujika I. Effects of tapering on performance: a meta-analysis. Med Sci Sports Exerc. 2007 Aug;39(8):1358-65. doi: 10.1249/mss.0b013e31806010e0. PMID: 17762369.

Houmard JA, Scott BK, Justice CL, Chenier TC. The effects of taper on performance in distance runners. Med Sci Sports Exerc. 1994 May;26(5):624-31. PMID: 8007812.

Mujika I, Goya A, Padilla S, Grijalba A, Gorostiaga E, Ibañez J. Physiological responses to a 6-d taper in middle-distance runners: influence of training intensity and volume. Med Sci Sports Exerc. 2000 Feb;32(2):511-7. doi: 10.1097/00005768-200002000-00038. PMID: 10694140.

Mujika I, Padilla S. Scientific bases for precompetition tapering strategies. Med Sci Sports Exerc. 2003 Jul;35(7):1182-7. doi: 10.1249/01.MSS.0000074448.73931.11. PMID: 12840640.

Spilsbury KL, Nimmo MA, Fudge BW, Pringle JSM, Orme MW, Faulkner SH. Effects of an increase in intensity during tapering on 1500-m running performance. Appl Physiol Nutr Metab. 2019 Jul;44(7):783-790. doi: 10.1139/apnm-2018-0551. Epub 2019 Jan 4. PMID: 30608885.

Wang Z, Wang YT, Gao W, Zhong Y. Effects of tapering on performance in endurance athletes: A systematic review and meta-analysis. PLoS One. 2023 May 10;18(5):e0282838. doi: 10.1371/journal.pone.0282838. PMID: 37163550; PMCID: PMC10171681.

Plusieurs études ont également rapportés une augmentation de la lactatémie maximale à l'exercice. Le taux de lactate sanguin en fin de course est un déterminant de la performance en demi-fond. Cette augmentation est multifactorielle et peut être du à l'ensemble des adaptations précédemment citées. Ce marqueur peut représenter un indicateur global d'une capacité à performer en demi-fond et d'un affûtage réussi.

L'ensemble de ces phénomènes nous amènent à penser qu'une période d'affûtage permettrait aux athlètes d'optimiser leur potentiel physique de performance. Ainsi que leur capacité à utiliser ce potentiel en dissipant des phénomènes perturbateurs.

2 - Impact sur la performance et recommandations

Une période d'affûtage devrait être en équilibre entre la diminution de la fatigue et le maintien de la condition physique pour obtenir un bon niveau de forme. Ainsi, la durée, le volume et l’intensité de l'entraînement devront être ajusté

En d’autres termes, la diminution de la fatigue physiologique et psychologique permet aux adaptations réalisées à l'entraînement de se sublimer et d’exprimer leur potentiel de performance. Cependant, un stimulus insuffisant pourrait compromettre certaines adaptations positives de l'entraînement via un phénomène de desentrainement.

Deux méta-analyses qui ont été réalisé avec 16 années d'écarts nous rapportent des résultats et des recommandations similaires. (Bosquet et al, 2007) (Wang et al, 2023)

Chez des sportifs d'endurance entrainés une période d'affûtage pourrait permettre d'améliorer la performance en compétition entre 2% (Bosquet et al, 2007) et 4% (Wang et al, 2023). Mais une variabilité importante dans les résultats ont été rapporté (entre 0 et 8%). La réponse peut donc varier selon le protocole employé et les individus.

Voici quelques préconisations à retenir pour optimiser les bénéfices de son affûtage :

La durée de l'affûtage : Des améliorations de performances peuvent subvenir entre 6 jours et 4 semaines. Une durée de 8 à 14 jours serait idéale pour obtenir les meilleurs bénéfices. Une durée inférieure à 8 jours ne permettrait pas à l'organisme de suffisamment surcompenser. Tandis qu'une durée supérieure à 21 jours pourrait amener un début de desentraînement.

Le volume d'entraînement : Une diminution de 40 à 60% du volume d'entrainement.

La fréquence d'entraînement : Un maintien ou une légère diminution de 20%.

L'intensité d'entraînement : Un maintien de cette intensité avec une diminution du volume à l'ensemble des allures et plus particulièrement à basse intensité.

Le type d'affûtage : Il existe 3 grands types d'affûtages (voir illustration ci-dessous). La diminution progressive exponentielle serait le plus performant (exponential taper), suivi de la diminution progressive linéaire (linear taper). Finalement une réduction de la charge d'entrainement continue pendant 2 semaines serait la stratégie la moins performante (step taper).

3 - Études spécifiques à la course à pied

Trois études portant sur l'évolution de la performance chez des coureurs entrainés ont attiré note attention, voici les détails :

Spilsbury, 2019

Houmard, 1994

Mujika, 2000

8 athlètes entrainés, 6 jours d'affûtage, baisse de 50% volume ou 75% avec maintien intensité

Pas de gains de performance sur 800m, 3 athlètes/8 ont diminué leur performance

10 athlètes entrainés, 7 jours d'affûtage, baisse de 30% volume

Amélioration de 3,4% ou 1,4% sur 1500m selon la condition

24 athlètes entrainés, 7 à 8 jours d'affûtage, baisse de 85% volume avec des intervalles à haute intensité chaque jour

2,8% d'amélioration de performance sur 5km

Conclusion

Comme l'indique les études spécifiques à la course à pied la réponse à l'affûtage varie considérablement d'un individu à l'autre.

Pour optimiser les chances de réussite d'un cycle d'affûtage il sera important de suivre les recommandations des méta-analyses citées dans cet article.

Il s'agira ensuite de prendre en considération le niveau de fatigue de l'athlète avant d'entamer la période d'affûtage. L'ajustement des différentes modalités de l'affûtage devront par la suite s'affiner pour chaque athlète avec l'expérience.

Finalement, si un bon affûtage peut apporter des résultats significatifs il est important de garder à l'esprit que sa réussite est pré-déterminée par une préparation bien construite en respectant la pyramide des priorités d'entraînement.